J’aime bien les gens qui ont des pensées fortes et originales, qui ont des opinons très personnelles, réfléchies et articulées sur tous les sujets. Ces penseurs qui viennent remettre en question les certitudes et les évidences. Mais je n’ai aucune attirance pour les gourous. Pour ces personnes qui s’empressent de vouloir remettre leur certitude à la place de la certitude qu’ils viennent d’ébranler. Pour ces gens qui disent eux-mêmes pouvoir nous changer, nous « sauver » ou nous montrer la voie de du salut. En particulier lorsqu’ils osent affirmer qu’ils sont les seuls à pouvoir nous offrir le salut.
Cette méfiance des gourous est une chose qui m’a fortement attiré vers la respiration holotropique. Ce qu’on appelle l’attitude holotropique, c’est celle de croire – de croire volontairement – qu’on possède déjà toutes les ressources pour grandir, guérir, croître, apprendre, se développer, etc. Et c’est l’expérience essentielle que vise la respiration holotropique: celle de prendre un moment pour écouter ce qui se passe en nous ou pour nous, à un moment précis de notre vie. En cela, la respiration holotropique peut s’apparenter à la méditation. La respiration holotropique, tout comme la méditation, est une technique d’exploration, d’observation. Mais là s’arrête la similarité.
La stratégie, en respiration holotropique, vise à tourner son attention vers l’intérieur et à essayer d’augmenter tout ce qui se passe pour nous, qu’il s’agisse d’une émotion, d’une sensation physique, d’un souvenir, d’une expérience étonnante ou psychédélique, etc. Mais la stratégie vise aussi à « rester avec » ce qui se passe, à ne pas rejeter l’expérience comme inutile ou insignifiante a priori. C’est un travail qui peut être vraiment stimulant, mais qui peut aussi être très difficile. En anglais, le mot breathwork combine les concepts de « respiration » et de « travail ». La respiration holotropique, c’est du travail !
Ce qui m’étonne toujours, c’est à quel point une personne qui vient de travailler très fort et d’obtenir un résultat qui semble créer une sensation de soulagement, de réconfort ou de satiété, va souvent attribuer son état à quelqu’un d’autre, en particulier au facilitateur ou à la facilitatrice qui vient de travailler avec elle. Je me fais un devoir – et c’est un devoir habituellement respecté par toutes les personnes qui facilitent la respiration holotropique – de toujours remettre ce pouvoir à la personne.
« Merci de vouloir m’attribuer ton mérite, mais c’est toi qui a fait le travail. » À noter que ça me donne le droit de faire la même chose lorsqu’on m’attribue la responsabilité de ses difficultés. Je ne prends ni les réussites, ni les difficultés (le mot « échec » n’a pas de sens en respiration holotropique). Ma responsabilité à moi, c’est de m’assurer que les conditions matérielles et humaines favorisent le sentiment de sécurité. C’est le sens de l’expression « tenir l’espace ». Le travail qui se fait dans cet espace ne relève pas de moi et en tant que facilitateur, je n’ai volontairement aucun projet pour les gens qui respirent. Et c’est le travail difficile d’un facilitateur: éviter de projeter sa volonté sur le travail qui se produit dans une salle de respiration.
Cela pointe vers une méthode simple pour identifier un gourou: le gourou, c’est la personne qui s’attribue le mérite de votre travail et qui présente vos difficultés comme des échecs. Cela est possible parce que le gourou a un projet pour vous: il affirme savoir mieux que vous ce que vous devriez être ou devenir. Mais le gourou ne peut prendre tout ce pouvoir que parce que les gens sont prêts à le lui donner. Et c’est là que réside le paradoxe apparent du pouvoir.
Si vous demandez aux gens s’ils veulent plus de pouvoir, la très grande majorité des gens vont répondre que oui. En réalité, c’est loin d’être le cas. Le pouvoir est même une source de vertige, de terreur. Parce que comme l’affirment tous les films de superhéros, avec le pouvoir vient la responsabilité. Et l’on ne peut obtenir de pouvoir qu’en fonction de la responsabilité qu’on est prêt à accepter.
Exemple concret: devant la situation inquiétante de l’environnement, il est tentant de refuser de voir son pouvoir. Refuser son pouvoir, c’est se permettre n’importe quoi, parce que, ultimement, on se convainc que tout ce que l’on fait est vain, inutile, superflu. Mais prendre son pouvoir, c’est décider que les gestes que l’on fait comptent. Alors on veut réduire son empreinte énergétique, consommer moins, choisir des ressources plus renouvelables, réduire ses déchets, etc. Les gestes à poser sont infinis et il est à peu près impossible de ne pas ressentir de vertige devant tout ce qu’il nous reste toujours à faire.
Prendre son pouvoir, prendre ses responsabilités, c’est un geste qui nous condamne à l’inconfort, au travail, à l’incertitude et à l’inconnu. Pour prendre son pouvoir, il faut beaucoup de courage. C’est beaucoup plus facile de donner ce pouvoir à quelqu’un qui affirme déjà tout savoir, à quelqu’un qui a toutes les certitudes. C’est ce qui fait toute la popularité des gourous ou des vedettes de la croissance personnelle. C’est aussi ce qui les mène éventuellement à leur perte, parce que force est de constater que le pouvoir, lorsqu’il est trop concentré, finit par corrompre.
Et vous, avez-vous le courage de réclamer votre pouvoir?