J’aime observer les événements à l’aide du concept de l’expérience périnatale.En particulier les événements relevant des archétypes comme la pandémie actuelle. Une maladie qui se répand à travers l’humanité résonne tout à fait avec l’idée de la première matrice toxique. Le liquide amniotique, l’océan source de vie duquel la conscience émerge, se transforme tout à coup en nuage qui empoisonne tout: une menace invisible, mais pourtant bien tangible et mortelle.
Ce signal marque l’expulsion du paradis, la perte du confort, du connu et le début du processus de la naissance. Cette première partie de la naissance démarre par des contractions. À ce moment, le col est encore fermé et la pression exercée sur la petite créature à naître est proprement titanesque. L’explication biologique de ce châtiment en apparence cruel est de placer le bébé de façon à favoriser son expulsion. Mais bien sûr cette signification échappe complètement à la petite chose qui la vit et la seule compréhension qui s’offre à cet instant est celle voulant qu’un univers jadis aimant a été remplacé par une divinité cruelle, déterminée à écraser, suffoquer, effacer, annihiler.
C’est l’expérience de la deuxième matrice périnatale. Elle résonne avec les sentiments de trahison, de paranoïa, de tromperie, ainsi que ceux de désespoir, d’impuissance, de rage, de dépression, d’isolement. À ce moment, il n’y a pas encore de mouvement vers la sortie et il n’y a rien que le bébé puisse « faire » pour s’évader: il est à la merci d’une divinité cruelle par laquelle il a été piégé, seul, sans espoir d’aide ou de salut. La peur des araignées, qui attrapent leur proie dans un terrible piège, résonne aussi avec cette expérience. Tout comme la peur des grands serpents qui écrasent leur proie dans leurs anneaux. Et bien sûr, la claustrophobie dans toutes ses manifestations.
C’est cette émotion qui émerge pour la plupart d’entre nous, alors que nos mouvements deviennent de plus en plus limités et que nous approchons d’un état de confinement ou que nous l’expérimentons. C’est l’expérience cauchemardesque à l’aube de notre initiation dans l’humanité qui fait planer son ombrer gigantesque et terrifiante sur notre compréhension de la situation. C’est pourquoi la panique, le désespoir et la paranoïa sont très présents en ce moment.
C’est une sensation avec laquelle ma pratique de la respiration holotropique m’a beaucoup familiarisée. J’ai passé des heures interminables, simplement couché, incapable de faire quoi que ce soit, frustré, bouillant de rage, sans espoir, convaincu que je resterais dans cet état jusqu’à la fin des temps. J’ai essayé quantité de stratégies pour arriver à me sortir de là, mais aucune d’entre elle ne fonctionne. Puisqu’il n’existe aucune stratégie pour sortir de là, la seule solution, pour moi, a été d’accepter la situation.
D’accepter de n’avoir aucun contrôle sur ce qui se passe, pas plus que sur le temps que durera cet état ou sur la raison pour laquelle cela se produit. Accepter que la situation pourrait durer toujours. Accepter que je suis minuscule dans un univers infiniment grand. Que je suis une fourmi en train d’essayer de comprendre le voyage intersidéral. Je suis sans pouvoir sur rien. Je ne peux même pas comprendre ce qu’est ce « je » qui voudrait pouvoir faire quelque chose.
À ce stade, habituellement, on me dit des choses comme « C’est du nihilisme » ou « On ne peut pas abandonner » ou « Il y a toujours quelque chose à faire » ou des choses du genre. C’est peut-être vrai, utile et tout, mais ça vient d’un désir d’éviter de ressentir la sensation que je tente de décrire: celle de la deuxième matrice périnatale.
Bien sûr, c’est une expérience très difficile, douloureuse, mais elle est aussi très importante et puissante. Quand tout espoir disparaît, quand le sentiment de pouvoir ou de contrôle disparaît, une grande clarté se présente à nous. Lorsque le « je » et l’instinct de préserver ce « je » sont éliminés de l’équation, les choses peuvent enfin être perçues avec une certaine objectivité. Et ce sont cette clarté et cette objectivité qui vont permettre à une solution d’émerger. À quelque chose de nouveau, d’inattendu, de miraculeux qui transformera une défaite en victoire et la mort en renaissance.
C’est pour ça que j’ai de la difficulté à prendre au sérieux les personnes qui ne prennent même pas la peine d’expérimenter la souffrance des semaines et des mois à venir et qui pensent déjà connaître ce qui nous attend de l’autre côté. Ces personnes vont utiliser du langage comme « vibrer sur un plus haut plan d’énergie » ou d’autres concepts vides. Ces mots ont l’effet de narcotiques qui visent à éliminer la douleur en nous faisant sortir de l’ici et maintenant. Oui, quelque chose émergera forcément de tout ceci, mais personne ne sait ce que ce sera. Nous serons transformé par cette épreuve à l’échelle planétaire, mais en quoi? Personne ne le sait et ceux ou celles qui disent le savoir sont soit malhonnêtes, stupides ou à tout le moins, souffrent d’un grave manque d’humilité et d’imagination.
Pour que quelque chose de nouveau, de puissant, de vrai et de vivant émerge, il faut que nous prenions le temps de vivre cette perte de contrôle, ce désespoir. Si nous n’utilisons pas le temps qui nous est offert pour nous familiariser avec ces émotions puissamment gravées en nous lors de la naissance, nous serons encore manipulés par les personnes les plus efficaces pour nous distraire de ces émotions.
Et nous gaspillerons l’incroyable occasion de transformation qui nous est offerte. Il y a six mois, les gens se sont réunis en vastes foules pour demander des changements pour la survie de toute la biosphère. Aujourd’hui, alors que toute la machine s’arrête, nous voyons que le changement radical est possible. Quelque chose d’inimaginable il y a quelques mois est en train de se produire. Mais pour que ce moment survienne, des milliers de vies sont présentement sacrifiées. Nous ne pouvons pas laisser ces vies s’éteindre comme s’il s’agissait d’une simple intermission dans notre cirque écocide. Ce serait une tragédie terrible.
Notre travail, en ce moment, est de nous asseoir et d’apprivoiser des émotions difficiles. C’est la seule façon dont nous pouvons honorer les morts. C’est la seule façon dont nous pouvons développer notre force pour affronter ce qui s’en vient, peu importe de quoi il s’agit.