Peut-on “diriger” sa séance de respiration holotropique?

Au cours d’une discussion informelle, après une atelier de respiration holotropique, un participant m’a demandé ceci: “Est-il permis de ‘diriger’ sa séance de respiration?” Comme je n’étais pas certain de ce qu’il voulait dire, je lui ai demandé de préciser sa pensée. Il a ajouté: “Je voulais essayer de faire du travail corporel, mais je ne voulais pas avoir à le demander pendant la séance, parce que je n’aime pas avoir à parler. Est-ce acceptable de demander quelque chose de précis avant le début de la séance? Est-ce que ça ne va pas contre l’idée de la RH, comme quoi tout devrait arriver de façon spontanée?”

Premièrement, une séance de respiration holotropique ne “devrait” pas être quelque chose plutôt qu’une autre. À l’intérieur des règles établies pour la RH (principalement celles voulant qu’on ne fasse pas de mal à soi-même ou aux autres et qu’on n’inclut personne d’autre dans l’exploration de sa sexualité), le plancher de respiration est un espace ouvert, qui vise à permettre aux participants et participantes d’explorer leur psyché comme bon leur semble. L’idée que chaque personne qui respire est la seule experte de sa propre psyché est fondamentale, en respiration holotropique. C’est la raison pour laquelle les facilitateurs et les accompagnateurs ne peuvent jamais intervenir dans un processus sans la demande explicite de la personne qui respire.

En ce qui me concerne, il arrive souvent que je “régresse” au cours d’un séance, et je demande souvent au préalable à mon accompagnateur ou à mon accompagnatrice de venir me réconforter, s’il ou elle me voit prendre une position foetale. Ça fait partie de mon contrat typique. S’il ou elle ne se sent pas confortable de répondre à cette demande, je lui demande de faire appel à un facilitateur. Après de nombreuses séances, je me suis rendu compte que c’est quelque chose dont j’ai vraiment besoin, mais que je suis justement incapable de demander lorsque j’en ai vraiment besoin. Alors avant le début de la séance de respiration, je fais cette demande, dans le cadre du contrat avec la personne qui m’accompagne. C’est précisément le but du contrat: demander quelque chose qui pourrait répondre à un besoin. Le contrat représente une façon de “diriger” certains éléments de la séance de respiration.

Bien sûr, il arrive que je ne prenne pas la position foetale au cours d’une séance, et il est arrivé aussi qu’après avoir pris la position foetale, je n’aie pas voulu de réconfort, notamment parce que j’avais décidé d’explorer plus profondément mon sentiment d’abandon. Mais comme j’avais demandé au préalable qu’on me conforte lorsque j’adopterais la position foetale, c’est ce qui s’est produit. J’ai donc simplement demandé à la personne d’arrêter, mais je n’ai pas senti que c’était une intrusion dans mon expérience: ça démontrait au contraire que j’étais aux commandes de ma séance. La majorité du temps, je trouve cet ajout personnel à mon contrat très utile, parce que ce réconfort vient renforcer – au-delà des mots – qu’il peut y avoir quelqu’un prêt à répondre à mes besoins lorsqu’ils se manifestent. Vivre cette expérience de réconfort de façon répétée a créé des changements durables dans ma vie.

Mais qu’en est-il des personnes qui font de la respiration holotropique pour la première fois ou des personnes qui n’ont pas encore une bonne idée de ce à quoi peut ressembler leur processus?

Je suggérerais d’approcher la respiration holotropique un peu comme la sexualité. Lorsqu’on fait l’amour pour la première fois, il serait plutôt étrange de chercher à pratiquer des exercices du Kama Sutra ou à se lancer dans un jeu de rôle élaboré. En général, l’idée, c’est d’être présent à ce qui se passe et à simplement laisser les choses suivre leur cours. Je proposerais la même chose aux gens qui font de la RH pour la première fois: respirez, soyez présent autant que possible à ce qui se passe et essayez d’aller le plus à fond possible dans ce qui se manifeste. Vous n’avez pas à tout régler ou à tout essayer au cours de votre première session ! En fait, ce serait vraiment improbable que vous y arriviez.

Après avoir discuté encore quelques minutes, après la même séance de RH, un autre participant m’a raconté: “J’étais accompagnateur ce matin, et j’ai vu quelqu’un demander à être immobilisé par les facilitateurs. Je me suis demandé ce que ça pouvait faire alors j’ai demandé à ce qu’on m’immobilise cet après-midi. Je ne sais pas encore comment parler de cette expérience, mais quelque chose de très profond s’est produit.”

Ce participant avait déjà pris part à trois ou quatre séances de respiration et il était curieux de voir ce que pouvait ajouter le travail corporel à l’expérience.

Ces deux questions et commentaires mettent en évidence ce que j’aime probablement le plus à propos de la respiration holotropique: le fait que c’est un outil d’exploration aussi bien personnelle que collective. Le côté “personnel” est évident, mais pourquoi aussi utiliser l’expression “exploration collective”? La partie du travail qui consiste à accompagner sert en premier lieu à s’assurer que personne ne respire seul et qu’il est possible de répondre aux besoins de tous. Mais plus que cela, l’expérience d’accompagner permet d’observer ce qui se passe dans la pièce et d’être témoin des processus d’autres personnes. Ainsi, chaque fois qu’une personne décide d’essayer quelque chose, tente de trouver de nouvelles façons d’explorer sa psyché, cette personne partage aussi son exploration avec le groupe. Lorsqu’un participant ou une participante explore sa psyché avec sérieux, courage, honnêteté et ouverture d’esprit, son travail va influencer celui des autres. Ses découvertes à propos de ce qui fonctionne ou pas vont aider les autres à faire de même pour eux. En étant totalement pour soi dans cette expérience, on se retrouve à être là pour les autres. C’est la façon dont la respiration holotropique évolue et croît: dans ce jeu où le microcosme reflète le macrocosme. Chaque personne qui respire est d’une certaine façon un hologramme de la méthode et contient toutes ses possibilités en elle. Et c’est pourquoi, quelqu’un qui participe à une séance de RH et qui arrive à soigner quelque chose en elle en Australie peut éventuellement aider quelqu’un au Canada ou en Espagne à faire de même, sans avoir même jamais mis les pieds là-bas ou rencontré ces personnes.

Je ressens beaucoup de gratitude pour Stan et Christina Grof, pour leur élaboration de cette méthode qu’est la RH, tout comme je ressens beaucoup de gratitude pour Philippe Lévesque, qui me l’a fait découvrir. J’ai aussi beaucoup de gratitude envers Tav Sparks, Diane Haug et Diana Medina, les facilitateurs qui ont dirigé tous les séminaires de ma formation et qui m’ont aidé à comprendre ce qu’était un facilitateur. Je pourrais nommer beaucoup d’autres personnes, des facilitateurs, des accompagnateurs, des participants, etc. Je ressens aussi beaucoup de gratitude à leur égard. Mais je sais qu’une partie des progrès ou de la guérison que j’ai trouvés en RH sont dus à des gens qui ont peut être respiré quelques fois, dans des pays où je ne mettrai jamais les pieds. C’est pourquoi, d’une façon très réelle, chaque fois que quelqu’un fait de la RH, il aide à guérir non seulement lui-même, mais d’autres personnes et le monde en général. Je ne parle pas ici d’un concept flou et new age à saveur d’énergie et de karma (mais remarquez, je n’ai rien contre non plus), mais bien d’un lien causal concret et réel, aussi vrai que je respire.

Retournons donc à la question qui a inspiré cet article: est-ce que quelqu’un peut “diriger” son expérience de respiration holotropique? Oui, bien sûr, à condition que cette “direction” n’empêche pas la personne d’être présente à ce qui se passe dans l’ici et maintenant.

Ne faites pas de mal, à vous-même ou à d’autres participants, n’incluez personne dans l’exploration de votre sexualité, restez jusqu’à la fin et respectez la confidentialité de ce qui se passe dans la pièce de respiration. Voilà quelles sont les règles.

Tout le reste est permis.

La frustration à propos de la respiration holotropique: une expérience holotropique

Dans ma pratique comme facilitateur de respiration holotropique, j’ai souvent le sentiment que les gens qui éprouvent de la déception après une séance de RH font partie de ceux qui pourraient vraiment en retirer des bénéfices.

Je me souviens avoir ressenti beaucoup de frustration après mes premières séances de RH, parce que je m’étais attendu à vivre quelque chose d’aussi puissant que mes expériences précédentes avec des psychédéliques. J’avais pourtant respiré avec sérieux pendant presque toute la durée de la session et malgré tout, je n’étais pas arrivé à percevoir de changement significatif à mon état de conscience. C’était très frustrant. Et devant ce sentiment de frustration, j’ai bien sûr utilisé la seule stratégie que je connaissais: la rationalisation et la projection. Je me souviens m’être dit: “Quelle supercherie !” et avoir pensé que tous les participants qui semblaient avoir ressenti quelque chose l’avaient inventé.

J’ai souvent pensé que cette expérience est assez commune, mais bien sûr, les gens qui sont dans un état de frustration après une session de RH ne me contactent jamais pour m’en faire part. Il serait en effet compréhensible que je sois une des dernières personnes avec laquelle ils veuillent partager leur frustration, puisque j’en suis au moins partiellement la cause. Cette discussion lue sur Reddit (en anglais seulement) a confirmé mes soupçons.

Ce qui est intéressant, c’est que certaines personnes remettent en question la méthode qu’ils sont justement en train de ne pas utiliser. Selon la méthode holotropique, il faut essayer de ne pas avoir de préférence pour un état d’esprit particulier, et plutôt tenter de “demeurer présent” à ce qui se passe, peu importe ce dont il s’agit. Si l’on ressent de la frustration, il faut essayer de demeurer présent à sa frustration. Et “rester présent” est aux antipodes de la rationalisation et de la projection. Pourquoi? Parce que rationaliser ou projeter, c’est le refus de la responsabilité. C’est une façon de dire: “Je ne suis pas frustré, c’est la situation qui est frustrante. Je ne suis pas responsable de cette frustration, c’est quelqu’un ou quelque chose d’autre qui en est responsable, pour ceci ou pour cela.”

Mais la méthode holotropique affirme qu’il faut demeurer présent à notre frustration. Cela ne signifie pas qu’il faille chercher à la justifier. On devrait simplement la ressentir, parce que, de toute évidence, il s’agit d’une expérience douloureuse de laquelle on cherche à s’extraire au plus vite. La frustration-parce-que-la-méthode-ne-marche-pas est justement la meilleure preuve que la méthode est en train de fonctionner.

Si vous avez un penchant pour la rationalisation, vous pouvez lancer l’argument que la respiration holotropique est infalsifiable, ce qui veut dire qu’elle ne fait que renvoyer la balle et qu’elle relève en conséquence d’une malhonnêteté scientifique.

Mais la RH n’est pas une science. Elle ne cherche pas à créer une vérité consensuelle. Elle vise uniquement à ménager un espace où l’on peut explorer sa psyché, où l’on peut expérimenter la réalité d’une autre façon.

Bien sûr, on a toujours le choix d’accepter ou non de vivre une expérience douloureuse lorsqu’elle se présente. Mais il faut aussi avoir l’honnêteté de reconnaître que ce qui guide notre refus de l’expérience n’est pas l’intégrité morale ou intellectuelle, mais bien la peur, tout simplement. Et il est tout à fait permis d’avoir peur, tant que l’on accepte la responsabilité de sa peur. Je répète ceci à chaque session de respiration holotropique: “La respiration holotropique, c’est un travail difficile. Je suis impressionné par le courage que démontrent les gens qui vont explorer volontairement leur psyché.” Je ne dis pas ça simplement parce que ça sonne bien. J’y crois absolument. Ce travail peut parfois nous faire vivre des expériences vraiment douloureuses ou effrayantes.

Mais lorsqu’on choisit de demeurer présent à des sensations, émotions ou pensées difficiles, lorsqu’on choisit d’y demeurer présent seulement une minute de plus, des choses vraiment étonnantes commencent à se produire.

Je ne peux pas prédire ce qui vous arrivera. Tout ce que je peux faire, c’est partager ce qui m’est arrivé lorsque j’ai finalement réussi à demeurer présent à ma frustration et à en accepter la responsabilité.

Très rapidement, j’ai réalisé que ma frustration était liée à un très profond sentiment de honte: j’avais honte parce que je me sentais “brisé”, incapable de connaître ce que je croyais être une expérience légitime, ou une expérience comme je percevais les autres participants capables d’en avoir. En définitive, j’avais honte parce que je questionnais mon droit d’exister dans cet univers et que je restais avec la sensation que “je ne suis pas désiré”. L’origine ce cette sensation est au fond sans réelle importance, mais je comprends qu’elle fait partie de ma “programmation par défaut”: lorsque j’entre dans une pièce, lorsque je rencontre des gens, je ne me sens pas à ma place; lorsque je vis une expérience de nature spirituelle, je ne me sens pas à ma place. Ce sentiment était totalement inconscient, et pourtant, il a conditionné pratiquement toutes les expériences que j’ai vécues.

Je ressens un profond sentiment de puissance chaque fois que j’arrive à ramener de façon consciente cette réalisation profonde, parce qu’au lieu de me sentir automatiquement “pas à ma place” comme si c’était une vérité absolue, je me rends compte que je projette ce sentiment de ne pas être à ma place sur la situation. Je sais que ça peut ressembler à du zen de garage, mais pour moi, ça change tout.

Toute mes expériences en respiration holotropique ne sont pas de cette nature et il m’est arrivé de ressentir des choses extraordinairement positives, mais je suis fier d’être arrivé à rester présent à ma frustration juste un moment de plus, parce que ça m’a permis de trouver un outil concret qui me permet de transformer la façon dont je suis présent au monde et dont j’interagis avec les autres.

Je ne peux que vous souhaiter d’arriver vous-aussi à trouver une forme de grâce dans les endroits les plus inattendus.